La photographie de presse retouchée 1910-1970

LA FABRIQUE DES ICÔNES présente La photographie de presse retouchée 1910-1970, du 3 avril au 20 juin 2015.

« La Fabrique des Icônes »
La galerie ARGENTIC présente du 3 avril au 20 juin 2015 des photographies de presse vintages, retouchées à la main, issues de la collection du réalisateur Raynal Pellicer. Fruit de plusieurs années de recherche, cette collection rassemble une centaine de photographies, toutes choisies pour leur rareté et leurs qualités esthétiques.Dans la logique de l’engagement de la galerie de ne présenter que des pièces singulières, les oeuvres de cette collection sont rendues uniques par les applications à la main de retouches, de natures et techniques diverses et aujourd’hui disparues. Cet ensemble inégalable a bénéficié d’une première version d’exposition en 2013 lors des Rencontres Photographie à Arles, accompagnée de Version Originale, une publication parue aux Éditions de La Martinière.

Bogart
Humphrey Bogart – 1949
Tirage argentique vintage retouché à la main, 20 x 25 cm. Pièce unique.
Courtesy ARGENTIC.
Photo promotionnelle du film Knock on Any Door, de Nicholas Ray, produit par Columbia en 1949. Sur le tirage original mis à disposition de la presse, de nombreuses retouches ont été effectuées. La photo porte les marques de recadrage à la gouache noire et au crayon orange. Le contour des yeux a été renforcé, l’arrière-plan recouvert d’une peinture grise. La main tenant la cigarette ainsi que les volutes de fumée ont été effacées. Le noeud papillon, le revers de la veste et le col de chemise ont été repeints à la gouache dans les mêmes motifs et les mêmes nuances de gris. Le gommage de la cigarette répond uniquement à un choix esthétique. En bas à droite, le copyright D. 931. 106 correspond au numéro de dossier de production du film.

L’exposition à la Galerie ARGENTIC se concentre sur une trentaine d’oeuvres emblématiques parmi la centaine existantes, dont les sujets évoquent invariablement aux visiteurs de puissants souvenirs et réminiscences cinématographiques, questionnant la notion fondamentale de ce que peut, veut ou doit être une image. L’exposition nous dévoile les cadrages, découpages, manipulations à l’aspect pictural qui transforment ces images, scènes de films ou portraits de personnalités, troublant le jugement esthétique, révélant la « Fabrique des Icônes ».

La retouche dans la photographie de presse : une vision hédoniste du monde ?
Datant des années 1910 à 1970, ces images de presse nous témoignent que la question de la retouche, toujours aussi actuelle et brûlante, se posait déjà à une époque où le numérique n’avait pas encore pris possession de toutes les rédactions. Ici, on utilise de la gouache ou du correcteur liquide. On coupe, peint, dissimule, reconstruit, faisant de chaque photographie une pièce unique.
Mais qu’il s’agisse de retouches manuelles, visibles à l’oeil nu, ou de modifications aujourd’hui réalisées avec Photoshop, l’idée reste la même : améliorer le visuel et son contenu, donner au lecteur une vision souhaitée et préalablement savamment étudiée.

Rogers
Ginger Rogers – 1946
Tirage argentique vintage retouché à la main, 20 x 25 cm. Pièce unique.
Courtesy ARGENTIC.
Portrait de l’actrice Ginger Rogers, 1946. Photo promotionnelle du film Magnificent Doll, de Frank Borzage, produit par Hallmark Productions. Oscar de la meilleure actrice en 1941, pour Kitty Foyle, de Sam Wood, Ginger Rogers a formé avec Fred Astaire le plus célèbre duo des comédies musicales américaines dans les années 1940 et 1950. La photo porte les marques de recadrage noires et orange et un contour à la gouache blanche. L’arrière-plan est recouvert de peinture grise. La chevelure est accentuée par un liséré tracé au pinceau.

Une cigarette à la bouche d’Humphrey Bogart dérange déjà sur un cliché de 1949 (en couverture de ce dossier). Elle sera recouverte d’une peinture grise, de même que les volutes de fumée s’en émanant, ne laissant au spectateur que le regard perçant de l’acteur américain, exempt de tout défaut. Ginger Rogers, Rudy Dusek, Robert Stack, Clark Gable, Charlie Chaplin., sont autant de figures dont l’image se devait d’être parfaite. Et pourtant, la pratique de la retouche a toujours existé. Montrer le beau, véhiculer le bon message, est une fin en soit et amène à corriger chaque détail. Qu’il s’agisse de Neanderthal dans sa caverne, retouchant à l’ocre un animal, ou d’un Charles Le Brun retouchant une main et un drapé sur les plafonds de la galerie des glaces, depuis des siècles l’idée principale est de convaincre et de diffuser le bon message, au bon moment.

Retoucher à tout prix : limite et déontologie
De ces retouches découlent naturellement des interrogations déontologiques quant au rôle même de l’image et la place que les retouches occupent aujourd’hui dans la presse. Pourquoi retoucher ? Pourquoi ne pas révéler les portraits tels qu’ils apparaissent sur l’instantané de la pellicule photographique ? Pourquoi et comment cette manipulation de l’image semble-t-elle devenir indispensable à la « fabrication » d’une icône, statut lui même éminemment subjectif et artificiel ? L’exemple récent d’une Cindy Crawford dévoilée sans retouche sur le web, aussi naturelle que réelle, nourrit encore le débat. Rides, imperfections, marques du temps, autant de signes qui semblent ne plus avoir droit de cité.

Alors qui mène la danse ? La controverse actuelle autour de l’attribution du World Press cristallise un peu plus les tensions liés aux pratiques des trucages et montages dans la photographie documentaire et le photojournalisme, où souvent l’image devient symbole. La retouche investit tous les domaines et achève de brouiller jugements et perceptions.