ITW // Thomas Delahaye – Into the Wild

Réputé pour ses photographies uniques de papillons, Thomas Delahaye, photographe animalier français, a décidé d’élargir son horizon et de contempler la nature à travers son objectif depuis les cimes savoyardes.

BIO

Réputé pour ses photographies uniques de papillons, Thomas Delahaye, photographe animalier français, a décidé d’élargir son horizon et de contempler la nature à travers son objectif depuis les cimes savoyardes.

Thomas-delahaye

Depuis combien de temps es-tu photographe animalier ?

Cela fait maintenant 8 ans. C’est en retournant sur le lieu de vacances de mon enfance que la nature m’a de nouveau inspiré et j’ai eu envie de capturer la beauté des papillons savoyards avec un appareil photo. À l’origine, mon grand-père est celui qui m’a principalement fait aimer la montagne et découvrir la faune et la flore qu’on y trouve.

Tu as publié fin 2015 un beau livre en autoédition Flying & Dreaming : Tome I – Les Papillons. Où en est le tome II ?

Il va attendre un peu mais il est prévu… Je suis pour l’instant sur un deuxième ouvrage, je vais sortir un livre sur la faune de Vanoise, là où j’habite. Il y aura donc des photos de papillons, d’oiseaux et de mammifères. Ce sera pour octobre 2018, j’espère.

Tu as participé à de nombreux concours photo et tu as reçu beaucoup de prix. Récemment tu as été nommé lauréat du concours Marais de Séné. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce concours ?

C’est un petit concours français qui ne paie pas de mine puisqu’il n’y a pas beaucoup de participants par rapport à ceux auxquels je m’inscris d’habitude. Mais il y a vraiment une grosse qualité. Cela dépend aussi des jurés mais cela reste toujours bien évidemment subjectif. C’est toujours excitant de se « confronter pacifiquement » à des collègues. Ma photo d’hermine a été appréciée et ça fait vraiment plaisir. Mais elle n’a pas encore
été publiée.

Un nacré porphyrin savoyard, pris un matin tôt, avec un joli bokeh derrière.
Un nacré porphyrin savoyard, pris un matin tôt, avec un joli bokeh derrière.

Originaire du Nord, tu as vécu pendant une dizaine d’années dans la région parisienne. Tu es parti récemment vivre en Savoie où tu passais chaque année tes vacances. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Plusieurs choses. Tout d’abord, j’y vais depuis que je suis tout petit. C’est un coin que j’affectionne parce que j’ai de la famille et mon grand-père avait découvert l’endroit. C’est comme ça qu’il y a 8 ans j’ai repris la photographie en balade. Ça m’a vraiment repris. Vivant à Paris et étant musicien, j’avais mis un peu la nature de côté pendant une dizaine d’années. Et en y retournant, j’ai pu démarrer la photographie. J’ai continué pendant 4 ans à y aller en vacances de plus en plus régulièrement. Depuis juin j’y habite, tout simplement, pour avoir une qualité de vie plus naturelle et plus simple aussi. Pour obtenir plus de photos aussi et pour assouvir cette passion de recherche des cristaux, car j’aime beaucoup ça. Il y a donc beaucoup de points positifs pour aller vivre là-bas et pratiquer ce que j’aime. C’était donc naturel d’y aller, même si je quitte un emploi très stable à Paris comme professeur de guitare. La nature me manquait pas mal…

Peux-tu nous résumer à quoi ressemble une de tes journées types, à présent ?

Je me lève souvent assez tôt, surtout l’été. Je pars vers 4-5 heures du matin, pour prévoir le temps de monter vers 2200-2500 mètres, selon ce qu’il y a au programme, avec un sac de 10-15 kg. Quand je suis forme, je fais en une heure et demie et les 1000 mètres de dénivelé. Pour essayer d’arriver au moment du lever du soleil, pour avoir un peu de temps pour travailler, car après la lumière en montagne est très très dure, surtout l’été. Vers 8 h 30-9 heures, l’exposition n’est déjà plus bonne. J’essaie d’avoir 1 h 30-2 heures là-haut pour faire de la photo tranquillement, et après j’y reste plus ou moins longtemps. Je redescends souvent vers midi. Et ensuite ça dépend, soit je joue de la guitare, je publie sur les réseaux sociaux.

Le soir, souvent je remonte, ou pas, selon le temps qu’il fait. Par exemple, tout à l’heure, je vais voir le brame du cerf, puisque c’est la saison. Je n’ai pas beaucoup de route, après c’est surtout l’accessibilité qui est compliquée en montagne. J’essaie de prendre des photos le matin et le soir, au maximum. Mais quand il ne fait pas très beau dans la journée, ça me permet aussi de faire de la photo puisque la lumière n’est pas très dure. C’est surtout ce qu’il va se passer cet hiver.

Un tarier des prés ramenant une chenille pour sa progéniture, cet oiseau affectionne les grands supports telle cette gentiane.
Un tarier des prés ramenant une chenille pour sa progéniture, cet oiseau affectionne les grands supports telle cette gentiane.

Quelle est ta rencontre animalière la plus dangereuse et risquée à ce jour ?

(Silence) Il y a bien eu des trucs en montagne qui m’ont fait peur. Pour des sujets parfois simples, comme le bouquetin. Il faut faire attention au tichodrome, car il est souvent dans des endroits inaccessibles avec une falaise bordée d’un torrent. J’ai pris aussi des photos de cormoran huppé avec un ami en Bretagne, au cap Fréhel. Il fallait descendre à l’arrache sur la falaise. La corniche n’était pas très grande, et surtout il y avait du vent à décorner les bœufs, donc il fallait faire très attention.

Quelle est ta rencontre la plus surprenante ?

L’année dernière, j’ai eu droit à un renard pas très farouche, là-haut vers 2500 mètres. Il est venu au contact. C’est vrai que c’était très surprenant et très agréable de voir un renard pas du tout stressé par l’homme. Parce qu’en plaine, ils se font tellement tirer dessus que ce serait improbable d’avoir une rencontre comme celle-là. Mais en montagne, de temps en temps, ça arrive. C’est incroyable.

Et quelle est ta rencontre animalière la plus émouvante ?

(Silence) C’est dur car il y en a quand même eu pas mal ! (rires) Il y a les espèces emblématiques, comme le tichodrome, qui est un oiseau vraiment rare. Il y a beaucoup d’espèces dures à trouver en montagne, mais pas très farouches. Il faut juste les trouver. Dans les espèces qui m’ont beaucoup plu, je dirai le tichodrome, le hibou des marais… C’est difficile à dire, il y en a vraiment beaucoup… Certains oiseaux… L’hermine aussi fait parti des espèces les plus émouvantes. Le renard bien sûr était l’une de mes meilleures rencontres dans ma petite vie de photographe, même si ça n’a duré que 20 minutes, mais c’est très long 20 minutes. Surtout avec le renard, comme avec les gros animaux, tu sens qu’il y a vraiment une interaction, tu vois le regard, tu vois que ça change. Ce n’est pas comme avec un papillon, c’est tellement petit à l’échelle, tu ne peux pas voir s’il est content ou autre, c’est plus difficilement visible. Tandis qu’avec un hibou des marais, par exemple, qui est déjà assez gros, comme une grosse poule, tu vois le regard, en plus ils ont des yeux très parlants, comme avec le renard. Donc oui, il fait vraiment partie de mon top 3.

Deux marmottes jouaient ensemble dans un face-à-face !
Deux marmottes jouaient ensemble dans un face-à-face !

Quels sont tes animaux de prédilection et pourquoi ?

J’ai une fascination pour les papillons, surtout les apollons de montagne. Pourquoi ? Parce que c’est magnifique. Et parce qu’un gros papillon qu’on ne trouve qu’en montagne maintenant. Et quand je le vois, ça veut dire que je suis dans ma montagne, donc je suis bien. (rires) Après encore une fois, le renard. C’est toujours incroyable de croiser des bêtes magnifiques comme celle-là, qui ne sont pas faciles en temps normal à voir. L’hermine aussi c’est très agréable à photographier mais très difficile à trouver. Une fois qu’on l’a trouvée, généralement, on a fait le plus gros du travail. C’est très très furtif mais très plaisant à faire. Après, il y a les oiseaux. J’aime un peu tout dans les oiseaux.

Peux-tu nous en dire un peu plus au sujet de ta très belle photo des deux marmottes ?

Cela s’est passé cet été lors de ce que j’appelle une ballade de routine. C’est un itinéraire que j’aime beaucoup, puisqu’il y a souvent des bêtes à rencontrer comme les bouquetins, après je tourne près d’un lac où il y a toujours des marmottes. L’été c’est souvent la période où les jeunes viennent de naître, ils sont donc un peu joueurs. Ils étaient justement en train de jouer gentiment. Ce sont des moments furtifs qui ne durent pas bien longtemps, c’est donc toujours intéressant d’en avoir. J’aime bien la tête qu’ils font, un peu naïfs. (rires) Et ça me fait toujours rire, bien que ce soit un animal classique. Mais j’aime bien faire les animaux classiques aussi, car souvent on les oublie, ce ne sont pas des animaux qu’on met souvent en valeur. Comme le moineau… il ne faut pas les oublier non plus. (rires)

Une hermine de Savoie, prise ici vers 2400 m d’altitude cet été. Elle a sa tenue estivale marron et blanche.
Une hermine de Savoie, prise ici vers 2400 m d’altitude cet été. Elle a sa tenue estivale marron et blanche.

Que donnerais-tu comme conseils à un photographe débutant qui voudrait se lancer dans l’animalier ?

Déjà, il ne faut pas hésiter à se lever tôt. Parce qu’ c’est toujours là que les choses se passent et il y a une bonne lumière surtout. Ou le soir. Et surtout, bien potasser tout ce qu’on trouve sur internet sur l’espèce qu’on veut photographier. C’est toujours un plus d’en savoir un maximum sur l’espèce, car il y a des animaux qu’il faut éviter de déranger, ou qu’il faut arriver plus tôt la nuit avant de prendre les photos… Après il existe plein d’espèces classiques qu’on peut prendre facilement mais c’est toujours un plus de les appréhender, surtout pour trouver leur milieu, pour réagir aussi plus vite. Et c’est toujours mieux de savoir de quoi on parle quand on présente un sujet.

Comment se déroulent tes stages de photo ? Sont-ils limités à la période estivale ou donnes-tu des stages tout au long de l’année ?

Il y a possibilité de faire des stages toute l’année. L’été bien sûr est accès plutôt sur les papillons, puisque ça ne dure que 2-3 mois en montagne, mais on peut faire autre chose aussi. Les beaux jours d’automne, il y a toutes ces belles lumières et couleurs, donc on peut très bien faire de l’animalier, surtout bouquetins, chamois… Je vais lancer les stages d’hiver pour l’hermine, car j’ai de la chance d’en avoir dans mon village. Je pense que ça marchera pas trop mal. Il y a toujours aussi la possibilité de faire du chamois et du bouquetin puisqu’ils vont descendre un peu plus bas. C’est donc toute l’année, oui.
Le déroulement va dépendre du sujet. Si ce sont des papillons, on peut discuter avant et pendant. Ils prennent leurs photos et ensuite je corrige. Mais ce n’est pas la même approche en animalier pur, comme avec les bouquetins. On peut expliquer pas mal de choses avant pour mieux appréhender l’animal, mais ce sont des sujets avec lesquels il faut être réactif. Comme avec l’hermine, c’est tellement furtif. Mais ça reste des sujets assez accessibles, on peut refaire certaines choses qu’on a loupées. Ce qui n’est pas forcément possible avec le chamois par exemple ici. Puisque le chamois ici dans les Alpes est un peu chassé, et donc assez farouche, contrairement à celui des Vosges. Il y a toujours une question de technique, d’expliquer certaines choses. Donc pour moi, le but c’est que la personne arrive à faire des photos sympas, avec cette approche du travail de fond, de sous-exposition et de surexposition.

Deux chiffres savoyards dans une photo douce et surexposée dès la prise de vue.
Deux chiffres savoyards dans une photo douce et surexposée dès la prise de vue.

As-tu des expositions de prévues ?

Je reviens des Pyrénées, c’était fin septembre. C’était très chouette. En novembre, je vais à Montier-en-Der comme d’habitude, pour le festival international de la photo animalière et de nature. Comme j’ai exposé l’année dernière, je ne peux pas réexposer cette année, car il y a un roulement tous les deux ans. Par contre, je vais donner deux conférences sur le stand Canon. Et j’ai également une conférence sur les papillons le dimanche 19 novembre, de 12 heures à 13 h 30 à l’auditorium de la Halle au blé. J’y présenterai aussi mon livre sur le sujet. En décembre, j’ai une conférence au Lowland Photo Festival 2017 à Anvers en Belgique, toujours sur les papillons, qui durera environ 30 minutes et ce sera en anglais.

Quels sont tes projets pour 2018 ?

Comme on en a parlé au début de l’interview, je suis à fond sur mon deuxième livre. Il est à environ 80 %. Il y a beaucoup d’espèces spécifiques et qui sont difficiles à faire quand on est que de passage. Voilà aussi pourquoi je voulais habiter ici, parce qu’il y a des espèces qui demandent beaucoup de repérage et qu’on ne peut pas faire en une demi-journée, comme la chouette chevêche, le tétras… Ce sera encore un beau livre comme le premier, très épuré, et je vais reprendre le même déroulement, de l’obscur vers l’épure, en passant par la couleur. Un livre à contempler…